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    Homélie du 29ème dimanche

     

     

    Les textes bibliques de ce dimanche nous parlent de l’importance de la prière. La 1ère lecture (Exode) nous montre le peuple d’Israël en marche vers la Terre Promise. Au cours de sa marche, il a été attaqué par des tribus nomades. Il faut savoir que l’enjeu de ces combats c’était les points d’eau et les pâturages. C’est important pour subsister dans le désert. Au cours de cette bataille, Moïse se tient en prière sur la montagne. Les mains levées au ciel, il supplie le Seigneur. Mais quand il baisse les bras, tout va mal. Alors, il se fait aider par Aaron et Our pour garder les bras levés. C’est ainsi qu’il obtient de Dieu la victoire des ennemis d’Israël.

     

     

    Cette lecture est une réponse à la question que se posaient les hébreux. « Le Seigneur est-il au milieu de nous ou pas ? » L’important n’est pas le côté merveilleux mais cette assurance que Dieu est vraiment au milieu de son peuple. Notre vie est aussi un combat contre les puissances du mal. Nous ne pouvons pas les vaincre par nos seules forces. Comme Moïse, nous avons besoin du soutien fraternel de toute la communauté. Nous avons besoin de la prière des moines, des moniales et de tous les ministres ordonnés. Mais eux aussi ont besoin de la prière de tous les baptisés. C’est la supplication que le pape François adressait à tous les chrétiens du monde entier au soir de son élection : « Priez pour moi ». C’est aussi l’appel douloureux des chrétiens persécutés, victimes du fanatisme et de la haine. Ils sont nombreux dans les divers continents du monde. Ensemble, nous sommes la même Eglise de Jésus Christ, appelés à vivre dans une même fraternité.

     

    La vraie prière doit s’appuyer sur la foi. et pour cela, nous avons besoin de nous nourrir de la Parole de Dieu. C’est la recommandation que Paul adresse au jeune Timothée (2ème lecture). Il insiste fortement sur la lecture de la Bible. Certains ont tendance à négliger l’Ancien Testament. C’est dommage : nous y découvrons comment Dieu s’est révélé à un peuple pour le conduire au Salut. Ces textes anciens nous disent la vérité sur Dieu. Nous y trouvons une parole qui a été donnée pour faire vivre. Cette parole est tellement importante qu’il faut la transmettre à temps et à contre temps sans se lasser. Les saintes Ecritures sont un trésor extraordinaire que Dieu nous offre. Si nous l’accueillons dans la foi, il devient source de vie. Il est très utile pour « enseigner, dénoncer le mal, redresser, éduquer dans la justice ». C’est en nous nourrissant de cette parole de Dieu que nous apprendrons à prier avec foi.

     

    L’Evangile nous rapporte une parabole qui insiste sur l’efficacité de la prière. Il s’adresse à des communautés qui attendent le retour du Seigneur. Certains ont tendance à se décourager car il tarde à faire justice. C’est pour répondre à leurs questions que l’Evangile nous rapporte cette parabole : il s’agit d’un juge qui a fini par répondre à la demande  d’une pauvre veuve : il n’en pouvait plus d’entendre ses supplications répétées. A plus forte raison, Dieu qui est Père ne peut que rester attentif à toutes nos demandes. Saint Luc nous dit qu’il nous écoute toujours, quoi que nous lui demandions.

     

    Et pourtant, il nous arrive parfois d’avoir l’impression de prier dans le vide. Nous pensons alors que Dieu n’est jamais là quand on a besoin de lui. En fait, il est bien là, présent au cœur de nos vies, mais c’est nous qui sommes ailleurs.. Il nous écoute toujours, mais il n’y a personne pour l’écouter..ns ne pensons qu’à notre demande et nous n’obtenons pas la réponse que nous attendons. Et pourtant, nous avons été entendus bien au-delà de tout ce que nous pouvons imaginer. Le but de la prière c’est de nous ajuster chaque jour à ce Dieu qui est amour. Nous ne devons pas rester centrés sur nos demandes car il a bien mieux à nous donner. Il ne demande qu’à nous combler.

     

    La parabole de cet évangile se termine par une question posée à tous : « Le Fils de l’Homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur terre ? » Le pire ennemi de la foi c’est le découragement, c’est quand on se dit que Dieu n’est jamais là, ou qu’il nous a abandonnés. Jésus nous met en garde contre ce danger. Croire c’est s’obstiner dans la prière, c’est crier vers Dieu jour et nuit sans baisser les bras. Il ne manquera pas d’oiseaux de malheur pour semer le doute. Mais l’exemple de la veuve est là pour nous apprendre l’obstination.

    Abbé Jean Compazieu        

     

    En ce mois du Rosaire, nous faisons passer notre prière par Marie. Elle est là pour nous renvoyer au Christ et à son Evangile. Dans le mot « Rosaire », il y a « rose ». Un enfant qui veut faire plaisir à sa maman ne lui offre pas une fleur mais un bouquet entier. Il en va de même pour nous à l’égard de notre maman du ciel. N’hésitons pas à lui donner la place d’honneur dans notre vie. Elle est là pour nous ajuster à l’amour de Dieu.

     

    Ensemble, nous nous tournons vers toi Seigneur. Nous te prions en communion avec tous  les groupes de prières de nos diocèses et avec tous les chrétiens du monde entier. Aide-nous à dépasser le plan terrestre où nous nous installons trop facilement. Garde-nous dans ton amour. Au milieu de nos travaux, de nos joies et de nos peines, fais-nous vivre en enfants de Dieu. 

     

    Abbé Jean COMPAZIEU 

     


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  • L’Église valide une nouvelle traduction du « Notre Père »

    Une nouvelle traduction liturgique de la Bible, fruit de dix-sept ans de travail, a été validée par le Vatican avec une nouvelle version de la prière du « Notre Père ».

    MODIFICATION DU NOTRE PÈRE

     Cette nouvelle version du « Notre Père » n’entrera pas en vigueur avant 2014 dans les lectionnaires, et avant 2015 dans les missels.

     

    AVEC CET ARTICLE

    P. Fédou : « Le “Notre Père” a toujours eu un rôle central pour les Églises »

    Le nouveau Missel anglais demeure contesté

     En quoi la prière du « Notre Père » va-t-elle changer ?

     

    Le « Notre Père », qui figure dans les évangiles selon saint Matthieu et saint Luc, est la seule prière que Jésus-Christ a transmise à ses disciples. Elle est donc très importante pour l’ensemble des chrétiens. Dans le cadre de la traduction intégrale de la Bible en vue de la liturgie, confiée depuis 1996 à un groupe de biblistes et d’écrivains francophones, le texte du « Notre Père » a fait l’objet d’une nouvelle traduction. Mais seule la sixième demande de cette prière – « Et ne nous soumets pas à la tentation » – a été modifiée. Elle devient : « Et ne nous laisse pas entrer en tentation ».

     

    « Cette nouvelle traduction met davantage l’accent sur la communion avec le Christ qui a connu la tentation », explique Mgr Bernard Podvin, porte-parole de la Conférence des évêques de France (CEF). De fait, les Évangiles parlent de Jésus conduit par l’Esprit au désert pour y être tenté (Mt 4,11), ou du conseil qu’il donne à ses disciples à Gethsémani : « Priez pour ne pas entrer en tentation » (Mt 26,41). « Demander au Père de ne pas nous laisser entrer en tentation, poursuit Mgr Podvin, c’est Lui demander la force de combattre et d’écarter complètement la tentation comme le Fils l’a fait. »

     

     Pourquoi cette nouvelle traduction du « Notre Père » ?

     

    Dès la nouvelle traduction en français du « Notre Père » en 1966, un problème est apparu d’un point de vue théologique à propos de cette sixième demande : « Ne nous laissez pas succomber à la tentation » était devenu « Ne nous soumets pas à la tentation ».

     

    En fait, le verbe grec « eisphérô » (Mt 6,13) qui signifie littéralement « porter dans », « faire entrer », aurait dû être traduit par « Ne nous induis pas en tentation » ou « Ne nous fais pas entrer en (dans la) tentation », ou encore « Ne nous introduis pas en tentation ». « Ce verbe exprime un mouvement vers un lieu où l’on pénètre », avance Mgr Hervé Giraud, évêque de Soissons.

     

    Or la formulation de 1966 laissait supposer une certaine responsabilité de Dieu dans la tentation qui mène au péché, comme s’il pouvait être l’auteur du mal. « Cette traduction pouvait prêter à confusion et méritait donc un approfondissement théologique », poursuit Mgr Podvin. Pour autant, « il faut avoir envers les fidèles qui ont prié ainsi pendant des décennies beaucoup de sens pastoral », s’empresse-t-il d’ajouter.

     

    Plusieurs traductions ont donc été étudiées depuis cinquante ans – « Fais que nous n’entrions pas en (dans la) tentation » ; « Ne nous fais pas entrer dans la tentation » ; « Ne permets même pas que nous entrions en tentation » – mais aucune n’a été jugée satisfaisante.

     

     Comment cette nouvelle traduction a-t-elle été réalisée ?

     

    La Traduction officielle liturgique de la Bible est une œuvre collective de plus de 70 spécialistes, exégètes, hymnographes, hommes et femmes de lettres… C’est le résultat d’un « long processus de dialogue permanent entre trois instances », selon Mgr Podvin.

     

    D’abord, la Commission épiscopale francophone pour les traductions liturgiques (CEFTL) au sein de laquelle se trouvent aujourd’hui deux évêques français : Mgr Bernard-Nicolas Aubertin, archevêque de Tours, et Mgr Guy de Kerimel, évêque de Grenoble ; puis les différentes conférences épiscopales concernées, dont la CEF ; enfin, la Congrégation pour le culte divin. Au bout de dix-sept ans et après de nombreux va-et-vient avec les deux autres instances, la Congrégation pour le culte divin vient d’entériner la nouvelle traduction.

     

    « On est désormais dans une troisième étape qui sera physiquement signifiée le 9 novembre prochain, au cours de l’assemblée plénière des évêques à Lourdes », raconte encore Mgr Podvin. Ce jour-là, la nouvelle Bible liturgique sera remise aux évêques par l’éditeur Mame. Et elle sera publiée le 22 novembre par l’Association épiscopale liturgique pour les pays francophones (AELF) qui regroupe les conférences épiscopales de France, de Belgique, du Luxembourg, de Suisse, du Canada et de l’Afrique du Nord.

     

     Quand les fidèles vont-ils voir ce changement entrer en vigueur ?

     

    En 2014, le mardi 11 mars et le jeudi 19 juin, lorsque sera proclamé dans les paroisses catholiques l’Évangile sur l’enseignement par Jésus de la prière au Père (Mt 6,13), les fidèles n’entendront pas la nouvelle version du « Notre Père ». Car la nouvelle traduction n’entrera officiellement en vigueur dans les lectionnaires (livre liturgique catholique) et ne sera donc lue dans les paroisses et les communautés chrétiennes qu’après leur « recognitio » (reconnaissance) romaine : « sans doute en 2014 », selon Mgr Podvin. Et ce n’est qu’ensuite, « pas avant 2015 » que le nouveau Missel, avec la nouvelle version du « Notre Père », sera approuvé, puis imprimé. « D’ici là, estime Mgr Podvin, les esprits chrétiens auront le temps de se préparer. »

     

     Qu’en pensent les autres chrétiens ?

     

    La traduction française de la sixième demande du Notre Père avait été adoptée par toutes les confessions chrétiennes depuis 1966, en tant que « version œcuménique ». Les protestants et orthodoxes s’intéressent donc de près à cette nouvelle version du Notre Père qui, aux yeux du pasteur Jean Tartier, ancien membre du Conseil d’Églises chrétiennes en France (CECEF), est « de toute façon meilleure que l’ancienne ».

     

    De même, Antoine Arjakovsky, orthodoxe, historien et enseignant au Collège des Bernardins à Paris, se réjouit spontanément de cette nouvelle traduction car « l’ancienne formule de 1966 laissait sous-entendre que Dieu était à l’origine du mal ». Et de citer l’important travail de l’orthodoxe Jean-Marie Gourvil qui, en 2004 déjà, avait publié « Ne nous laisse pas entrer dans l’épreuve. Une nouvelle traduction du “Notre Père” » (1). Il faut donc maintenant que cette nouvelle version du Notre Père « prenne sa dimension œcuménique, selon Jean Tartier : car il ne faudrait pas que les protestants et orthodoxes, eux, gardent l’ancienne formule ! ».

     

    CLAIRE LESEGRETAIN

     


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  • PAR UN CORPS DE BALLETS CHINOIS


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    OLYMPE DE GOUGES (Herodote.net)

     

     

     

    Olympe de Gouges (1748 - 1793)

    La cause des femmes

     

    Personnage secondaire de la Révolution française, Olympe de Gouges a été redécouverte à la fin du XXe siècle par les mouvements féministes qui se l'ont appropriée, à juste titre d'ailleurs. Nul doute qu'elle aurait soutenu leurs combats pour l'égalité des droits entre les sexes.

     

    Représentante du Siècle des Lumières, Olympe de Gouges n'est toutefois pas isolée. D'autres femmes, en ce même XVIIIe siècle, d'Émilie du Châtelet à Élisabeth Vigée-Lebrun et Madame de Staël, ont contribué à l'émancipation de leur sexe par leurs écrits et plus encore par leurs activités.

                                                                          Fabienne Manière

     

    Libre de moeurs, libre de pensée

     

    Née en mai 1748 dans un ménage modeste de Montauban sous le nom de Marie Gouzes, la future Pasionaria de la Révolution française, précurseur du féminisme, perd son père très jeune et est élevée chez les soeurs ursulines.

     

    À seize ans, faute de mieux, elle épouse un restaurateur de la ville, Yves Aubry, rencontré au théâtre. Deux ans plus tard, elle se retrouve veuve et mère.

     

    Elle se met sans attendre en ménage avec un entrepreneur de transports militaires, Jacques Biétrix, qu'elle suit à Paris. Il n'y a pas d'autre moyen de survie, en effet, pour une femme de sa condition, sauf à se prostituer. Mais elle prend dès lors le mariage en horreur, y voyant le «tombeau de la confiance et de l'amour !».

     

    À vingt ans, tandis que le règne de Louis XV arrive sur sa fin et que Rousseau, Diderot ou encore Voltaire illuminent de leur esprit les salons de la capitale, la jeune provinciale entame une nouvelle vie, libre de toute contrainte... mais avec tout de même le soutien financier de son compagnon.

     

    Reniant ses origines quercynoises, elle prend le nom de scène Olympe de Gouges et fréquente assidûment les écrivains et intellectuels qui gravitent autour du duc d'Orléans.

     

    Quant arrive la trentaine, elle s'offre divers amants dont l'écrivain François Sébastien Mercier, auteur du Tableau de Paris, et écrit des pièces de théâtre et des romans qui fleurent bon les sentiments compassionnels à la mode. Mais son ton et ses idées ne tardent pas à mûrir...

     

    En 1785, elle publie pour le Théâtre-Français la pièce Zamore et Mirza, une violente dénonciation de l'esclavage. Elle est menacée d'embastillement mais qu'à cela ne tienne : en 1788, elle récidive avec ses Réflexions sur les hommes nègres, qui lui valent d'être accueillie par les abolitionnistes dans la Société des Amis des Noirs.

     

    En 1786, elle écrit aussi une suite au Mariage de Figaro de Beaumarchais dans laquelle elle dénonce le mariage forcé des filles et plaide pour l'émancipation féminine.

     

    Son activité inlassable lui vaut une notoriété appréciable et des jalousies. D'aucuns doutent qu'une faible femme puisse être à l'origine de tous ses écrits.

     

    Femme et révolutionnaire

     

    OLYMPE DE GOUGES (Herodote.net)

    Quand survient la Révolution française, en 1789, Olympe de Gouges, déjà quadragénaire, redouble d'activité et multiplie brochures et libelles dans lesquels elle réclame avant toute chose l'égalité des droits entre tous les citoyens sans distinction de sexe, de couleur ou de revenu. Elle plaide aussi pour le droit au divorce (elle sera exaucée dès le 20 septembre 1792).

     

    Des révolutionnaires partagent ses idées, tel le philosophe Condorcet qui plaide dès 1790 pour l'émancipation des femmes.  Olympe de Gouges, quant à elle, brave l'année suivante la bienséance révolutionnaire en publiant une parodie de l'auguste Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen sous l'intitulé : Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, avec une dédicace à la reine Marie-Antoinette, où l'on peut lire : «La femme a le droit de monter à l'échafaud, elle doit avoir également le droit de monter à la tribune» (article 10).

     

    En matière institutionnelle, Olympe s'en tient toutefois au souhait d'une monarchie constitutionnelle à l'anglaise et restera jusqu'à la mort attachée à la royauté.

     

    Sous la Convention, après la chute de celle-ci, elle milite au club des Jacobins. Elle y dénonce la peine de mort et revendique le droit de vote sans distinction de sexe... Hostile à la Terreur et proche des Girondins, elle s'oppose aux Montagnards et à leur chef, Robespierre, ce qui lui vaut d'être arrêtée le 20 juillet 1793, un mois après les chefs girondins, et condamnée à l'échafaud. «Enfants de la Patrie, vous vengerez ma mort !» lance-t-elle avant de mourir.

     

     

    Bibliographie

     

    Olympe de Gouges a fait l'objet de deux biographies récentes : Ainsi soit Olympe de Gouges (Benoîte Groult, Grasset, 2013) et Marie-Olympe de Gouges, une humaniste à la fin du XVIIIe siècle (Olivier Blanc, éditions René Viéret, 2003).

     

    Le magazine Histoire National Geographic (N°7, octobre 2013) lui a aussi consacré un bel article sous la plume de l'historien Guillaume Mazeau.


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    Birobidjan

     

     

     

     Dans l’Etat yiddish de Staline

     

     

     

    Le 30 janvier 2012

     

     

     

    Par Marek Halter

     

     

     

    Face à la chine, dans les années 30, l’URSS a installé des milliers de juifs dans une république créée pour eux. Marek Halter a fait le voyage.

     

     

     

    Ziama Mikhaïlovitch Geffen a 92 ans. Il s’appuie lourdement sur une canne en montrant sa basse-cour et un chapelet de chèvres. « Elles comprennent le yiddish ! » dit-il en rigolant. Son œil bleu s’anime quand il se remémore son arrivée dans la région. C’était tout au début, dans les années 1930. Il avait 11 ans. « Il n’y avait rien ici, dit-il, rien que la taïga. Nous avons tout fait. Nous avons défriché la terre, construit la ville, la gare, les écoles. Nous avons même lancé un journal… »

     

     

     

    Qui connaît le Birobidjan, cette République autonome juive sur le fleuve Amour, face à la Chine ? Autour de moi, personne. Moi-même qui en ai entendu parler, je la croyais disparue depuis longtemps. En ce début de XXIe siècle, le Birobidjan existe encore, et le yiddish, ma langue maternelle, en est la langue officielle !

     

    J’y suis allé par le train, à 9 000 kilomètres de Moscou, comme ces Juifs des années 1930. Mais, à la différence de ceux qui les ont parcourus dans des wagons de marchandises à peine aménagés, équipés de gros poêles centraux qu’il fallait alimenter avec des bûches entassées dans les gares, je suis dans le Transsibérien. « Où allez-vous ? me demande avec curiosité le contrôleur en chef, voyant qu’un photographe et une équipe de télévision m’accompagnent.

     

    – Birobidjan.

     

    – Ah, les Juifs ! » s’exclame-t-il. Et, pas peu fier, il ajoute : « Chez nous, les Juifs eux-mêmes ont leur république. »

     

     

     

    La gare de Birobidjan est une bâtisse en brique rouge et, sur le fronton, bien en vue, l’enseigne en russe et en yiddish : Birobidjan. J’espérais rencontrer quelques Juifs dans le hall. J’en aperçois trois, la kippa sur la tête. Je m’approche. Je me présente et leur demande de quoi ils parlent. Ils se disputent à propos du nouveau rabbin, trop jeune à leur goût. J’éclate d’un rire teinté d’une infinie nostalgie tant ces Juifs de Birobidjan ressemblent aux acteurs du théâtre yiddish de mon ­enfance. A cela près que nous ne sommes pas au théâtre mais en Sibérie, à 400 kilomètres de Harbin, capitale du Heilongjiang en Mandchourie où, il y a des siècles, fleurissait aussi une communauté juive.

     

     

     

    Combien sont restés à Birobidjan, dans cette ville de 77 000 habitants ? Personne ne le sait. Officiellement, 8 000. Mais un habitant sur deux a une arrière-grand-mère ou un ­arrière-grand-oncle juif, y compris les nombreux Coréens et Chinois. Lorsque la révolution bolchevique éclate, les Juifs sont près de 5 millions dans l’empire des tsars. Parqués dans des zones de résidence, interdits au sein de l’administration et dans les écoles. Ils s’organisent pourtant. Ils créent leurs propres écoles et leurs syndicats, mais ils restent les pauvres des pauvres. Le jour où des commissaires bolcheviques les appellent « camarades » en yiddish, ils se sentent enfin reconnus et rejoignent en masse la révolution. Dès les années 1920-1930, on les retrouve dans toutes les instances de la nouvelle Russie, la politique, les journaux, la littérature et le cinéma, le théâtre et les arts plastiques. Les plus grands se nomment Sergueï ­Eisenstein, Isaac Babel, Boris Pasternak, Marc Chagall, ­Vassili Grossman, David Oïstrakh, Emil Gilels…

     

     

     

    Staline commence à trouver ses amis juifs trop voyants. Et trop remuants. Le président du Soviet suprême, le vieux ­Mikhaïl Kalinine, a une idée. Pourquoi ne pas donner aux Juifs une république, une région autonome comme à tous les peuples de l’Union soviétique ? Cela établirait leurs droits et permettrait au pouvoir, sans être taxé d’antisémitisme, de les évincer des nombreux postes à responsabilité. Les Juifs se ­réjouissent du projet. Ils espèrent le Caucase, ils reçoivent un morceau de la Sibérie. Cette région s’appelle le Birobidjan.

     

     

     

    Les autorités y expédient des milliers de familles juives ; Staline prévoyait 100 000 personnes. Beaucoup partent ­volontairement. Un Etat juif, et socialiste de surcroît ! Nous sommes quinze ans avant la proclamation de l’Etat d’Israël. La guerre et les persécutions en Europe et dans la partie russe occupée par les nazis poussent des milliers de Juifs vers ­Birobidjan, cet « Israël de Sibérie », comme certains le nomment alors. La vie culturelle se développe. L’agriculture aussi. Le kolkhoz Waldheim, la maison de la forêt, devient l’un des plus exemplaires de l’Union soviétique.

     

    Un témoin de cette histoire vit à Paris : le psychanalyste Charles Melman. Son père, Moïse, charpentier et par ­ailleurs communiste, fut chargé par le parti d’organiser et de guider les Juifs vers cette nouvelle « Terre promise ». Charles ­Melman se souvient des isbas que des équipes construisaient sous la direction de son père. Chacune de ces maisons contenait 40 mètres carrés habitables que deux familles se ­partageaient. En leur centre, un grand poêle marquait la ligne de séparation.

     

     

     

    Bientôt, les purges staliniennes freinent cet élan. Dix-sept ans plus tard, en 1953, la mort du maître du Kremlin ouvre les portes du Birobidjan. Les Juifs soviétiques partent en masse en Israël. La lente agonie du Birobidjan, ajoutée à la disparition des communautés juives d’Europe centrale, sonnait le glas de la culture et de la langue yiddish. Il me semblait être le ­témoin de l’engloutissement définitif de ce monde auquel, avec ma mémoire, ma tradition et mon accent, j’appartiens aussi.

     

    Ce monde vibre encore comme l’écho lointain d’une civilisation blessée

     

     

     

    Birobidjan donc. Aussitôt sorti de la gare, un monument domine la place. Au sommet d’une sorte de tour : une menora, le chandelier à sept branches, qui sert aussi d’emblème à la région. A quelques mètres de là, une imposante sculpture en bronze représente le héros populaire juif inventé par Cholem Aleikhem : Tevié le laitier. La statue le montre transportant un bidon de lait sur son chariot attelé à un maigre cheval. A côté du bidon, sa femme, Goldé. Ceux qui ont vu la comédie musicale « Un violon sur le toit » s’en souviennent. Au Birobidjan, tout le monde connaît ce personnage.

     

    En ville, il y a deux synagogues. La première, la grande, est vaste, accolée à un autre bâtiment qui abrite un centre ­culturel et une association de bienfaisance. Dans la bibliothèque, je trouve avec émotion les livres de poèmes de ma mère. Au premier étage, une douzaine de femmes se réunissent trois fois par semaine pour chanter des airs traditionnels yiddish, mélodies de mon enfance.

     

    La seconde synagogue est une isba des années 1940. Il y en avait aussi une troisième, plus ancienne, mais elle a brûlé. « C’était à l’époque de Khrouchtchev, me dit le rabbin ­Andreï Loukatski. Il n’est pas impossible qu’il s’agisse d’un incendie délibéré. » Le rabbin me raconte alors que son père a pu sauver des flammes les rouleaux de la Torah. Ces rouleaux, il les a lui-même fait restaurer grâce à l’aide de la communauté juive japonaise toute proche. « Vous voulez les voir ? »

     

     

     

    Nous sommes dans sa synagogue à lui, son isba, ornée d’une énorme étoile de David taillée dans le bois. A l’intérieur, sur un banc, je remarque un bedeau et, sur un autre, adossées au mur, la femme du rabbin et trois vieilles dames qui, en hiver, viennent ici pour se réchauffer. Le rabbin prend un trousseau de clefs et ouvre non pas l’armoire qui, traditionnellement, abrite les rouleaux de la Torah, mais un coffre-fort. Emu, je l’aide à enlever le mantelet de velours joliment brodé qui protège les rouleaux.

     

    Andreï Loukatski me raconte qu’il a deux grands fils en Israël. Mais il en a aussi un troisième, âgé de 6 ans. Il l’a conçu avec sa femme afin de reprendre la tradition après lui. « La relève est assurée », dit-il, satisfait.

     

     

     

    L’ancienne actrice Polina Moissenevna Kleinerman tient à chanter pour moi « Mein Yiddische Mame » (« Ma mère juive »). Elle n’a plus de voix, mais il lui reste les gestes et la mimique. Je l’écoute et je pleure. Le journal dont me parlait le vieux Ziama Mikhaïlovitch Geffen existe encore. A l’origine, le « Birobidjaner Stern » (« L’Etoile de Birobidjan ») était un quotidien, intégralement publié en yiddish. Aujourd’hui, c’est un hebdomadaire en russe, avec seulement quatre pages en yiddish. Sa directrice n’est pas juive. Elena Ivanovna Sarashevskaya, à peine 30 ans, a épousé un Juif et appris le yiddish à l’université. Le journal est tiré à 5 000 exemplaires, vendus dans les kiosques. J’en achète deux en souvenir. Après avoir choisi deux revues en russe, un monsieur, plutôt jeune et blond, en prend, lui aussi, un exemplaire. Je lui demande s’il est juif. « Non. Mais je l’achète toutes les semaines. J’aime savoir ce qu’il se passe chez les Juifs. Avec eux, on apprend toujours… »

     

    Doit-on expliquer ainsi le succès de l’émission « Yiddishkeit » (« Judaïté ») programmée sur la télévision locale et qui présente une introduction à la culture et aux traditions juives ? « Avant, me dit Tatiana Kandinskaïa, l’animatrice, nous faisions l’émission en yiddish. Aujourd’hui, il n’y aurait plus grand monde pour comprendre. Mais depuis que nous sommes passés au russe, cette émission est devenue l’une des plus populaires de notre chaîne. »

     

     

     

    Nous nous rendons au théâtre en voiture. A Birobidjan, tout le monde roule dans des véhicules coréens, le ­volant à droite. Ici, la Corée est toute proche, tandis que l’Europe, à 10 000 kilomètres, disparaît dans le brouillard. Nous arrivons devant le Théâtre national juif, inauguré en 1936 par le second de Staline, Lazare Kaganovitch, en personne. Quand j’entre dans la salle, la troupe répète une comédie musicale, « Les chercheurs de bonheur », d’après un film de propagande réalisé en 1936. C’est l’histoire de Juifs américains qui partent pour le Birobidjan, leur patrie socialiste. Je suis troublé de voir ces jeunes comédiens danser et chanter sur la fameuse musique d’Isaac ­Dounaïevski : « Adieu l’Amérique, adieu l’Europe, bonjour notre patrie, notre Birobidjan. » Pourtant, nous sommes au XXIe siècle et l’Etat d’Israël existe depuis bientôt soixante-cinq ans.

     

     

     

    Mais ici, contrairement à Israël, on apprend le yiddish. Dans une classe que je visite, une jeune institutrice enseigne l’alphabet aux enfants. La plupart des élèves ne sont pas juifs. Il y a parmi eux deux Russes, un Kazakh, un Chinois, un ­Coréen. Ça les amuse d’apprendre le yiddish.

     

    Bouleversé de me retrouver chez moi, oui, chez moi, à plus de 11 000 kilomètres de Paris, je croise en sortant une Chinoise, mère d’un des élèves, et lui demande : « Pourquoi faites-vous apprendre le yiddish à votre fils ? » Elle me ­répond : « Ça peut servir… » J’éclate de rire. Les Chinois sont 1,4 milliard et les Juifs, à peine 14 millions. Et parmi eux, seule une poignée parle encore le yiddish !

     

    J’ai toujours pensé que Hitler avait perdu ses deux paris : effacer la présence des Juifs de la surface de la Terre et les transformer en autre chose que des hommes. Je croyais ­cependant qu’il avait réussi sur un point : la destruction d’une civilisation juive, celle du yiddish. Quand je suis né à Varsovie, sur près de 1 million d’habitants, on y comptait plus de 380 000 Juifs, avec leurs restaurants et leurs journaux, leurs cinémas et leurs théâtres, leurs pauvres et leurs riches, leurs voleurs et leurs mendiants, leurs synagogues et leurs partis politiques. Et leur langue, donc, le yiddish. J’ai cru que le ­nazisme avait anéanti tout entier ce monde-là. Or, là-bas, au Birobidjan, à la frontière chinoise, ce monde vibre encore comme l’écho lointain d’une civilisation blessée.

     

    Oui, il est plus difficile d’ensevelir la mémoire que les corps, et singulièrement celle d’une langue.

     

     

     


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