• Le Cochet le Chat et le Souriceau
     Livre VI - Fable 5

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    LE COCHET, LE CHAT ET LE SOURICEAU

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    Inspirée de Verdizotti, cette fable de La Fontaine suit assez bien celle de son prédécesseur.
    Houdar de la Motte et Chamfort admiraient particulièrement ce poème.

     

    Un souriceau tout jeune, et qui n'avait rien vu, 
    Fut presque pris au dépourvu. 
    Voici comme il conta l'aventure à sa mère : 
    «J'avais franchi les monts qui bornent cet État 
    Et trottais comme un jeune rat
    Qui cherche à se donner carrière,
    Lorsque deux animaux m'ont arrêté les yeux :
    L'un doux, bénin et gracieux, 
    Et l'autre turbulent et plein d'inquiétude ;
    Il a la voix perçante et rude, 
    Sur la tête un morceau de chair, 
    Une sorte de bras dont il s'élève en l'air 
    Comme pour prendre sa volée, 
    La queue en panache étalée;»
    Or c'était un cochet dont notre souriceau
    Fit à sa mère le tableau, 
    Comme d'un animal venu de l'Amérique. 
    «Il se battait,dit-il, les flancs avec ses bras, 
    Faisant tel bruit et tel fracas, 
    Que moi, qui, grâce aux dieux, de courage me pique, 
    En ai pris la fuite de peur, 
    Le maudissant de très bon coeur. 
    Sans lui j'aurais fait connaissance 
    Avec cet animal qui m'a semblé si doux : 
    Il est velouté comme nous, 
    Marqueté, longue queue, une humble contenance, 
    Un modeste regard, et pourtant l'oeil luisant. 
    Je le crois fort sympathisant 
    Avec Messieurs les rats; car il a des oreilles 
    En figure aux nôtres pareilles. 
    Je l'allais aborder, quand d'un son plein d'éclat 
    L'autre m'a fait prendre la fuite. 
    - Mon fils, dit la souris, ce doucet est un chat, 
    Qui, sous son minois hypocrite, 
    Contre toute ta parenté 
    D'un malin vouloir est porté. 
    L'autre animal, tout au contraire, 
    Bien éloigné de nous mal faire, 
    Servira quelque jour peut-être à nos repas. 
    Quant au chat, c'est sur nous qu'il fonde sa cuisine. 

    Garde-toi, tant que tu vivras, 
    De juger des gens sur la mine.»

     

    Cochet: jeune coq.

    Un jeune rat: Comme le remarque Pierre Clarac (Fables, commentaires de Pierre Clarac, Le Livre de Poche, n° 1198, p. 228), La Fontaine ne faisait pas de distinction entre les souris et les rats.

    A se donner: carrière faire carrière dans la vie.

    Plein d’agitation: plein d’inquiétude.

    Marqueté: tacheté.

    Doucet: doucereux.

    Malin: vouloir malveillance.

    Morale de la fable: A rapprocher de la morale de la fable «Le Torrent et la Rivière »  «Les gens sans bruit sont dangereux / Il n’en est pas ainsi des autres ».

     


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  • Le Trésor et les deux Hommes

    Livre IX - Fable 16

     

     

    LE TRÉSOR ET LES DEUX HOMMES

    Récit inspiré d’Abstémius (qui l’a repris d’un distique attribué à Platon), revu par Guillaume Guéroult en 1550 sous le titre " D’un Paysan et d’un Avaricieux " puis, en 1567 par Gilbert Cousin (" Du Pauvre et du Riche ", texte contenu dans le livre " De l’oracle de Jupiter Amon ").

    Le texte de La Fontaine est le troisième des huit " Fables nouvelles ", publiées en 1671.

    Nous retrouvons dans ce texte une des passions menant les hommes, l’avarice. La Fontaine traite de ce vice à plusieurs reprises : dans " L’Avare qui a perdu son trésor " (Livre IV, fable 20), " La Poule aux œufs d’or " (V, 13) ou encore dans " Le Loup et le Chasseur " (VIII, 27), sans oublier " L’Homme qui court après la fortune et l’Homme qui l’attend dans son lit "  (VII, 11). Il ne s’agit pas ici d’une fable double mais bien d’une histoire à rebondissements. En effet, si dans le texte de Cousin, le pauvre et le riche sont renvoyés dos à dos, ici, la chance de l’un provoque le malheur de l’ autre. Ironique, La Fontaine place sa sympathie du côté de la Fortune, cette " déesse inconstante " (vers 36) qui n’agit que selon ses caprices.

     

    Un homme n'ayant plus ni crédit ni ressource,

    Et logeant le diable en sa bourse,

    C'est à dire n'y logeant rien,

    S'imagina qu'il ferait bien

    De se pendre et finir lui-même sa misère,

    Puisque aussi bien sans lui la faim le viendrait faire :

    Genre de mort qui ne duit pas

    A gens peu curieux de goûter le trépas.

    Dans cette intention, une vieille masure

    Fut la scène où devait se passer l'aventure.

    Il y porte une corde, et veut avec un clou

    Au haut d'un certain mur attacher le licou.

    La muraille, vieille et peu forte,

    S'ébranle au premier coup, tombe avec un trésor.

    Notre désespéré le ramasse, et l'emporte,

    Laisse là le licou, s'en retourne avec l'or.

    Sans compter: ronde ou non, la somme plut au sire.

    Tandis que le galant à grands pas se retire,

    L'homme au trésor arrive, et trouve son argent

    Absent.

    « Quoi, dit-il, sans mourir je perdrai cette somme ?

    Je ne me pendrai pas ! Et vraiment si ferai,

    Ou de corde je manquerai. »

    Le lacs était tout prêt ; il n'y manquait qu'un homme :

    Celui-ci se l'attache, et se pend bien et beau.

    Ce qui le consola peut-être

    Fut qu'un autre eût, pour lui, fait les frais du cordeau.

    Aussi bien que l'argent, le licou trouva maître.

    L'avare rarement finit ses jours sans pleurs,

    Il a le moins de part au trésor qu'il enserre,

    Thésaurisant pour les voleurs,

    Pour ses parents ou pour la terre.

    Mais que dire du troc que la Fortune fit ?

    Ce sont là de ses traits, elle s'en divertit:

    Plus le tour est bizarre, et plus elle est contente.

    Cette déesse inconstante

    Se mit alors en l'esprit

    De voir un homme se pendre ;

    Et celui qui se pendit

    S'y devait le moins attendre.

     

    Logeant le diable en sa bourse: Locution proverbiale, à rapprocher de « tirer le diable par la queue ». Si cette seconde expression signifie « avoir des problèmes d’argent », celle reprise par La Fontaine indique bien plutôt n’avoir aucun argent du tout.

     

    Ne duit pas : ne séduit pas.

     

    Galant : rusé, malin.

     

    Bien et beau: Bel et bien.

     

    L'avare rarement finit ses jours sans pleurs: « Notre avare un beau jour ne trouva que le nid / Voilà mon homme aux pleurs. » (« L’Avare qui a perdu son trésor » (Livre IV, fable 20, vers 21,22).

     

    La Fortune: Signifie ici, au sens classique « le sort ».

     

    Elle s'en divertit: « Ainsi la fortune se plaît à se servir pour un contraire effet des choses que nous faisons à autre dessein. » (cf. d’Urfé, l’« Astrée », troisième partie, VI).

     

     


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  • L' Hirondelle et les petits oiseaux

    Livre I - Fable 8

     

    L'HIRONDELLE ET LES PETITS OISEAUX

     

    « L’Hirondelle et les petits Oiseaux » prend une inspiration inégale à plusieurs sources et plus particulièrement à une fable anonyme - différente dans les circonstances de l’histoire -elle-même inspirée librement d’Esope (« L’Hirondelle et les Oiseaux »). La Fontaine aura aussi connaissance d’un texte de Baudoin (« De l’Arondelle et des autres Oiseaux », dans « Fables »), 1631 et en fera usage. Voir « L’Alouette et ses petits avec la Maître d’un champ » (Livre IV, fable 22).

     

    Une hirondelle en ses voyages

    Avait beaucoup appris. Quiconque a beaucoup vu

    Peut avoir beaucoup retenu.

    Celle-ci prévoyait jusqu'aux moindres orages,

    Et devant qu'ils ne fussent éclos,

    Les annonçait aux matelots.

    Il arriva qu'au temps que la chanvre se sème,

    Elle vit un manant en couvrir maints sillons.

    «Ceci ne me plaît pas, dit-elle aux oisillons:

    Je vous plains, car pour moi, dans ce péril extrême,

    Je saurai m'éloigner, ou vivre en quelque coin.

    Voyez-vous cette main qui, par les airs chemine?

    Un jour viendra, qui n'est pas loin,

    Que ce qu'elle répand sera votre ruine.

    De là naîtront engins à vous envelopper,

    Et lacets pour vous attraper,

    Enfin, mainte et mainte machine

    Qui causera dans la saison

    Votre mort ou votre prison:

    Gare la cage ou le chaudron!

    C'est pourquoi, leur dit l'hirondelle,

    Mangez ce grain et croyez-moi.»

    Les oiseaux se moquèrent d'elle:

    Ils trouvaient aux champs trop de quoi.

    Quand la chènevière fut verte,

    L'hirondelle leur dit: «Arrachez brin à brin

    Ce qu'a produit ce mauvais grain,

    Ou soyez sûrs de votre perte.

    -Prophète de malheur, babillarde, dit-on,

    Le bel emploi que tu nous donnes!

    Il nous faudrait mille personnes

    Pour éplucher tout ce canton.»

    La chanvre étant tout à fait crue,

    L'hirondelle ajouta: «Ceci ne va pas bien;

    Mauvaise graine est tôt venue.

    Mais puisque jusqu'ici l'on ne m'a crue en rien,

    Dès que vous verrez que la terre

    Sera couverte, et qu'à leurs blés

    Les gens n'étant plus occupés

    Feront aux oisillons la guerre;

    Quand reglingettes et réseaux

    Attraperont petits oiseaux,

    Ne volez plus de place en place,

    Demeurez au logis ou changez de climat:

    Imitez le canard, la grue ou la bécasse.

    Mais vous n'êtes pas en état

    De passer, comme nous, les déserts et les ondes,

    Ni d'aller chercher d'autres mondes;

    C'est pourquoi vous n'avez qu'un parti qui soit sûr,

    C'est de vous enfermer aux  trous de quelque mur.»

    Les oisillons, las de l'entendre,

    Se mirent à jaser aussi confusément

    Que faisaient les Troyens quand la pauvre Cassandre

    Ouvrait la bouche seulement.

    Il en prit aux uns comme aux autres:

    Maint oisillon se vit esclave retenu.

     

    Nous n'écoutons d'instincts  que ceux qui sont les nôtres

    Et ne croyons le mal que quand il est venu.

     

    Devant qu'ils...Avant qu’ils.

     

    La chanvre: Féminin archaïque.

     

    Par les airs chemine: Le geste du semeur.

     

    Lacets: Voir « La Génisse, la Chèvre et la Brebis en société avec le Lion » (Livre I, fable 4, vers 5) « Dans les lacs de la chèvre un cerf se trouva pris. »

     

    Gare la cage: Gare à la cage.

     

    La chenevière: Terrain semé de chènevis ou déjà planté de chanvre.

     

    Crue: Poussée (du verbe croître).

     

    Reglingettes: Note de Thérèse « Ce doit être un collet, monté au bout d'une branchette qui fait ressort, et en se détendant, en reginglant, serre le lacet. Apparemment, ce mot est un mot de Château-Thierry, non connu des oiseliers de Paris. » (d'après Richelet)

     

    Imitez le canard...C’est-à-dire migrez.

     

    Aux: dans.

     

    Cassandre: Fille de Priam, roi de Troie. Apollon lui avait accordé le don de connaître l'avenir; mais pour la punir de lui avoir refusé ses faveurs, il l'avait condamnée à n'être jamais crue. (Note de Thérèse).

     

    D'instincts: De nos instincts.


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  • Le Satyre et le Passant

    Livre V - Fable 7

     

     

    LE SATYRE ET LE PASSANT

    Ce poème écrit en quatrains heptasyllabiques (tout comme « Le Rat de villes et le Rat des champs », a été inspiré de « L’Homme et le Satyre » d’Esope. La bouche souffle le chaud et le froid ! « Pourquoi ? » se demandera Aristote. (dans ses « Problèmes », XXXIV, 7). Erasme, Charron, Fleury de Bellingen et bien d’autres encore traiteront la question. Le livre biblique sapientel « L’Ecclésiastique » (appelé aussi « Le Siracide ») dira : « Fi du bavard et du fourbe : / ils ont perdu beaucoup de gens qui vivaient en paix. » (28, 13) (texte de la « Bible de Jérusalem »). La traduction de ce même verset biblique par le chanoine Osty est beaucoup plus explicite : « Le rapporteur [et l’homme] à la double langue, maudissez-les ; / car ils ont fait périr bien des gens qui vivaient en paix. » (Je signale que ce livre n’est pas reconnu comme inspiré par les Juifs, pas plus que par les protestants et qu’il ne faut pas le confondre avec « L’Ecclésiaste »). LaFontaine ici bon fera fruit de cette citation.

     

    Au fond d'un antre sauvage

    Un satyre  et ses enfants

    Allaient manger leur potage,

    Et prendre l'écuelle aux dents

     

    On les eût vus sur la mousse,

    Lui, sa femme, et maint petit;

    Ils n'avaient tapis ni housse,

    Mais tous fort bon appétit .

     

    Pour se sauver de la pluie,

    Entre un passant morfondu.

    Au brouet on le convie :

    Il n'était pas attendu .

     

    Son hôte n'eut pas la peine

    De le semondre deux fois.

    D'abord avec son haleine

    Il se réchauffe les doigts .

     

    Puis sur le mets qu'on lui donne,

    Délicat, il souffle aussi.

    Le satyre s'en étonne :

    "Notre hôte, à quoi bon ceci ?

     

    - L'un refroidit mon potage;

    L'autre réchauffe ma main.

    - Vous pouvez, dit le sauvage,

    Reprendre votre chemin .

     

    Ne plaise aux dieux que je couche

    Avec vous sous même toit !

    Arrière ceux dont la bouche

    Souffle le chaud et le froid !

     

    Le satyre est, selon la mythologie grecque, un demi-dieu rustique au corps couvert de poils, aux jambes et aux sabots de bouc, possédant de longues oreilles pointues , des cornes et une queue. Il était le compagnon du dieu du vin Dyonisos. On l’appelait aussi ‘silène’. C’est de ce nom que vient ‘satire’, cette pièce en vers qui attaque les travers d’une époque.

     

    Prendre l'écuelle aux dents: L’écuelle est une forme rustique de l’assiette. Les gens sont, ici, très pauvres et mangent avec leurs mains. A rapprocher de ‘prendre le mors aux dents’.

     

    Maint: Beaucoup de. L’expression, déjà désuète du temps de La Fontaine, pouvait s’employer tant au pluriel qu’au singulier.

     

    Morfondu: Épuisé.

     

    Semondre: Avertir à l’avance (de là vient le nom ‘semonce’).

     

    L'un: L’un des souffles.


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  • Le Curé et le Mort

    Livre VII - Fable 11

     

    LE CURÉ ET LE MORT (LA FONTAINE - VII,11)

     LE CURÉ ET LE MORT

    Mme de Sévigné écrivait à Mme de Grignan "Voilà une petite fable de La Fontaine, qu’il a faite sur l’aventure du curé de M. de Boufflers, qui fut tué tout roide en carrosse auprès de lui". Nous trouvons encore"M. de Boufflers a tué un homme après sa mort. Il était dans sa bière et en carrosse. On le menait à une lieue de Boufflers pour l’enterrer; son curé était avec le corps. On verse. La bière coupe le cou au pauvre curé." (cité dans "La Fontaine - Fables" - présentées par Alain-Marie Bassy, bibliographie et notes par Yves Le Pestipon, GF-Flammarion, 1995, p. 452). A ce fait divers, La Fontaine ajoute des "traits familiers" et des détails typiques.

     

    Un mort s'en allait tristement

    S'emparer de son dernier gîte;

    Un curé s'en allait gaiement

    Enterrer ce mort au plus vite.

    Notre défunt était en carrosse porté,

    Bien et dûment empaqueté,

    Et vêtu d'une robe, hélas! qu'on nomme bière,

    Robe d'hiver, robe d'été,

    Que les morts ne dépouillent guère.

    Le pasteur était à côté,

    Et récitait, à l'ordinaire,

    Maintes dévotes oraisons,

    Et des psaumes et des leçons,

    Et des versets et des répons:

    «Monsieur le Mort, laissez-nous faire,

    On vous en donnera de toutes les façons;

    Il ne s'agit que du salaire.»

    Messire Jean Chouart couvait des yeux son mort,

    Comme si l'on eût dû lui ravir ce trésor,

    Et des regards semblait lui dire:

    « Monsieur le Mort, j'aurai de vous

    Tant en argent et tant en cire,

    Et tant en autres menus coûts.»

    Il fondait là-dessus l'achat d'une feuillette

    Du meilleur vin des environs;

    Certaine nièce assez popette

    Et sa chambrière Pâquette

    Devaient avoir des cotillons.

    Sur cette agréable pensée,

    Un heurt survient: adieu le char.

    Voilà Messire Jean Chouart

    Qui du choc de son mort a la tête cassée:

    Le paroissien en plomb entraîne son pasteur;

    Notre curé suit son seigneur

    Tous deux s'en vont de compagnie.

     

    Proprement toute notre vie

    Est le curé Chouart qui sur son mort comptait,

    Et la fable du Pot au Lait.

     

    Des leçons:  Courtes prières.

     

    Messire Jean Chouart: Une autre façon de nommer le pénis chez Rabelais ("Pantagruel", XXI "Tenez, voici Messire Jean Chouart qui demande logis" et le "Quart Livre", LII) . Le curé pense spécialement à Pâquerette (voir plus bas).

     

    Une feuillette: une fillette, c'est-à-dire une carafe.

     

    Popette :"proprette" en langage familier.

     

    Le paroissien en plomb: Dans un cercueil de plomb.


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